La page blanche
Que serait la vie sans traumatismes passés, sans peurs refoulées, sans pleurs ravalés ? Quel serait le sourire qui n'a pas connu le pire ? De quelle couleur seraient les yeux qui admirent le soleil, sans craindre les ombres noires du soir ? A quel rythme battrait le cœur qui n'a pas connu l'aigreur ? Quelle douceur aurait la peau, vierge des déchirures du temps ? Quelle serait la mélodie du rire sans le tourment des souvenirs ?
Les cris incessants du passé étourdissent l'esprit, anéantissent la réjouissance du présent, et brûlent la confiance en l'avenir. Que reste t-il omis la méfiance, la déchéance ? Ce serait si prodigieux de venir au monde à nouveau, sous une nouvelle peau, comme le serpent qui rampe fièrement, en laissant derrière lui la pellicule d'une époque révolue... formidable, et inconcevable.
Combien sommes-nous à avoir connues ces heures égarées, agitées, acharnées, pour tenter de désapprendre les batailles passées ? Mais il est impossible d'éponger le sang séché ; il adhère parfaitement et se répand, à la manière des métastases cancéreuses d'un condamné. Comment garder la bravoure pour ne pas pulvériser l'édifice construit qui fait de nous ce que nous sommes ? Où puiser la vigueur pour traverser ce désert intérieur ? Car au fil du tumulte des heures qui écœurent, la foi en l'accalmie et l'ataraxie s'estompe... et si elle s'éteint, alors viendra le temps du glissement, menant au terme de l'intoxication d'une mémoire criminelle... aboutissant à l'échéance d'une vie. Alea jacta est.